Intérêt individuel

L’intérêt individuel est un des fondements de la coopération. Dans un système dans lequel les individus disposent de liberté, chacun cherche en effet à maximiser le sien. C’est un puissant moteur dans le choix d’une stratégie, même si ce n’est pas le seul.

La coopération part du constat que pour atteindre l’objectif de maximisation de son intérêt individuel, un agent rationnel a besoin des autres. Partant de là, en simplifiant, deux choix s’offrent à lui : tenter de profiter des autres en maximisant son intérêt à leurs dépens, ou coopérer avec eux, c’est-à-dire prendre en considération que les autres ont aussi des intérêts qu’ils défendent : en leur apportant son concours, l’individu escompte la réciproque. Au final, des boucles de rétroaction vertueuses s’enclenchent permettant au système de maximiser son utilité dans son ensemble, ce qui le rend plus performant que d’autres systèmes.

Néanmoins, des inégalités peuvent exister à l’intérieur du système, certains agents tirant mieux leur épingle du jeu que d’autres. Mais dans l’ensemble, la stratégie coopérative profite au groupe et le rend plus fort que d’autres groupes qui auraient choisi d’autres stratégies.

Coopération (3) : passion et contention des passions, Charybde et Scylla

Charybde et Scylla par Alessandro Allori La stratégie “donnant-donnant” brille par sa régularité et sa prévisibilité. Ces deux caractéristiques renforcent la confiance mutuelle entre les partenaires. Elles font aussi que, dans un réseau, toutes les relations ne se valent pas. Des relations nourries sur le long terme par des actes coopératifs répétés valent potentiellement plus que des relations nouvelles. C’est une leçon que les serial networkers des réseaux sociaux comme LinkedIn et Viadeo feraient bien de méditer. A quoi sert d’avoir des centaines de connexions dans son réseau si rien ne se passe après les avoir ajoutées ? Un tel réseau social se comporte comme un cerveau dans lequel aucun influx nerveux ne circulerait entre les neurones.

Régularité et prévisibilité sont donc, si l’on peut dire, les deux mamelles de la stratégie “donnant – donnant”. Elles peuvent être sérieusement contrecarrées par nos passions, réactions impulsives et chaotiques.

Qui d’entre nous n’a jamais répondu de manière brusque à un e-mail mal compris parce qu’il était de mauvaise humeur à ce moment-là pour une raison complètement étrangère à l’émetteur du message ?

Ce genre de comportement crée des malentendus qui sont autant de fausses notes dans la coopération.

Sur le long terme, cependant, le fait, pour des partenaires, d’être capables de surmonter ces soubresauts, renforce la confiance. Après tout, nous ne sommes qu’humains.
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Coopération (2) : l’enfer est pavé de bonnes intentions

Pour paraphraser Gide, c’est avec les beaux sentiments que l’on fait de la mauvaise coopération. Plus exactement, la coopération n’est pas du registre des sentiments. L’exemple des tournois logiciels organisés par Axelrod le prouve assez : des robots programmés peuvent avoir un comportement coopératif. On verra même dans un futur billet que les passions peuvent contrecarrer la coopération. Néanmoins, l’homme est fait autant, sinon plus, de passion que de raison. Que l’on s’en réjouisse ou qu’on s’y résigne, c’est ainsi. La dimension émotive impacte donc nécessairement la coopération. Si la coopération n’est pas affaire d’intentions, elle est affaire de communication de ses intentions. Il s’agit non seulement de coopérer par des actes mais aussi signifier son intention de coopérer.

Les choses se corsent dès lors que l’on considère que coopérer avec quelqu’un consiste à effectuer une action favorable à ses intérêts et qu’inversement un comportement hostile doit être sanctionné immédiatement par un comportement hostile de même intensité. Le problème, c’est que tout est question d’estimation :

  • comment puis-je connaître les intérêts de mon partenaire ?
  • est-ce que, même, je suis toujours conscient de mes propres intérêts ?
  • si je sanctionne un comportement que je juge hostile alors qu’il était neutre dans l’esprit de mon partenaire (erreur d’appréciation), ma sanction risque d’être incomprise
  • existe t-il une échelle qui permette de comparer l’intensité des actes coopératifs ou adverses ?
  • Lorsque l’on essaye de jouer sur un mode coopératif avec ses partenaires, il faut faire en sorte que ses actions soient le plus intelligibles possibles. Cela nécessite du savoir-faire et du faire-savoir : j’agis de telle façon avec toi et je t’explique pourquoi. Autrement dit, la coopération met en oeuvre des compétences certaines en psychologie et en communication.

    Donnant – donnant

    The evolution of cooperationCe billet est le premier d’une série sur la théorie de la coopération, dans lesquels nous reviendrons notamment sur les travaux de Robert Axelrod. Entre autres réalisations, Robert Axelrod est l’auteur de l’ouvrage The evolution of cooperation, publié en français sous le titre attrayant, provocateur mais réducteur “Comment réussir dans un monde d’égoïstes ?” Vous trouverez dans le centre de ressources un résumé et commentaire de ce livre par François Audiat.

    Le livre passe en revue différentes stratégies d’interaction entre les membres d’un groupe. Parmi ces stratégies, il y a le modèle dit “donnant – donnant”. Le principe de la coopération donnant – donnant consiste à interagir sur un mode coopératif avec un partenaire tant que celui-ci fait de même. A la première défection, le modèle invite à réagir immédiatement et avec la même intensité ; puis, au tour suivant, à reproposer une coopération. En tout état de cause, avec ce modèle, on n’agresse jamais le premier, on réagit à la première agression, et puis on repart sur un mode coopératif.

    Robert Axelrod a montré dans son ouvrage que cette stratégie était efficace et pouvait même s’imposer en absence d’amitié ou d’amour, par la seule force des intérêts bien compris des uns et des autres. Ce modèle n’est pas nécessairement le plus efficace pour un acteur pris isolément. Mais il permet de lui apporter une valeur sur le long terme et bénéficie durablement au groupe. C’est pourquoi il est si pertinent, je trouve, en entreprise, et plus généralement dans les groupes humains.

    Axelrod décrit et analyse des tournois organisés dans les années 80 entre des agents artificiels (petits logiciels) ayant chacun sa stratégie. Certains coopéraient toujours, quelle que soit l’attitude de l’autre. En quelque sorte, même lorsqu’on les frappait, ils tendaient l’autre joue ; d’autres, coopéraient toujours jusqu’à un certain point où ils faisaient défection, « trahissaient » leurs partenaires ; d’autres encore avaient un comportement aléatoire, etc. Finalement, le modèle dit donnant – donnant s’avérait l’un des plus robustes.

    En tant qu’êtres humains, nous pouvons, consciemment, nous, sans être programmés, choisir cette stratégie. Mais est-ce si simple ? Bien sûr que non. Les prochains billets traiteront justement des limites qui nous entravent dans notre volonté de coopérer.