L’une des caractéristiques du Web 2.0 tel que décrit par Tim O’Reilly est son caractère “éditable” ou “piratable” (hackable en anglais). Les sites, services et applications se construisent par touches successives, en recomposant en permanence des briques existantes. C’est tout le sens des mash-ups (agrégation de contenus tirés d’autres sources) ou des applications utilisant les API d’autres services Web (Google Maps, Twitter, etc.)
Cette tendance n’est pas seulement technique, elle est comportementale. Le Los Angeles Times analyse dans son article
“Essay: Technology changes how art is created and perceived” comment elle se traduit dans le domaine de l’art.
L’article prend plusieurs exemples. L’un d’entre eux est le Johnny Cash project. Il s’agit d’un site hommage à Johnny Cash sur lequel les internautes sont invités à construire collectivement un vidéo clip pour le titre “Ain’t no Grave”. Les internautes peuvent soumettre un dessin pour chaque image du clip et/ou voter pour leurs dessins préférés. Le résultat de ce processus de création collective (crowdsourcing) sera le clip final.
Un autre exemple est Reality Hunger, un ouvrage de David Shields réalisé comme un collage de 600 fragments tirés d’autres livres.
Le phénomène du “remix”, les reprises, dérivations, enrichissements d’oeuvres existantes, ont pris avec le Web 2.0 une ampleur sans précédent. Certes, les oeuvres inspirées de travaux antérieurs ne sont pas nouvelles. Le pop art a fait quant à lui du détournement un mode opératoire délibéré, que l’on pense à Andy Warhol ou Lichtenstein, par exemple. Mais jusqu’à présent un individu était à l’oeuvre, imprimait le plan d’ensemble de la reprise ou du collage, lui donnait son intention. C’est encore le cas de Reality Hunger. Mais la somme des retouches apportées par mille mains non coordonnées sur une initiative telle que le Johnny Cash project sera t-elle animée par un esprit donnant sa cohérence à l’ensemble ? On aboutirait alors à une oeuvre pas forcément anonyme (les participants peuvent laisser leur nom ou un pseudo) mais apersonnelle (ne reflétant aucune individualité) sinon impersonnelle ; une oeuvre aux milles contributeurs mais sans auteur. Sauf à penser que la collectivité soit mue par un inconscient collectif et que l’oeuvre reflète une personne transcendant la multitude…