La coopération est un mode d’interaction désirable au sein d’un groupe humain en raison de son efficacité à long terme. Cette recherche de l’efficacité peut poursuivre différentes finalités : le bien-être social d’une communauté, une meilleure performance des organisations, par exemple. Mais il peut arriver qu’elle serve aussi des fins plus douteuses …
Une étude du département d’informatique de l’Université de Taiwan vient nous le rappeler, non sans humour. Les chercheurs taiwanais sont partis du constat que les communications mobiles transmettent non seulement de l’information dont on souhaite la transmission, mais également des éléments de contexte que l’on pourrait souhaiter ne pas dévoiler. Si votre chef vous appelle sur votre portable pour discuter d’un dossier, souhaitez-vous forcément qu’il sache que vous travaillez au bord de la piscine, avec vos enfants auprès de vous, dans votre maison de campagne située non loin de l’aérodrome régional ? Toutes ces informations sont hors sujet, mais le bruit sonore ambiant (flop flop de l’eau de la piscine, rires des enfants, ronronnement sourd d’un avion de tourisme dans le lointain) peut transmettre ce bruit informationnel à votre interlocuteur.
La solution à ce problème est relativement simple : supprimer les bruits de fond. Plusieurs services d’opérateurs permettent déjà de le faire. Là où l’histoire devient plus croustillante, c’est que les chercheurs ne se sont pas contentés de cette première approche.
Ils se sont intéressés à des situations embarrassantes. Prenons le cas d’un personnage fictif, Chen, qui doit rencontrer plusieurs amis pour assister à un match de base-ball. Le rendez-vous pour aller au stade était fixé dans un café, mais les amis de Chen lui ont téléphoné pour faire part de leur empêchement, et la rencontre au stade a été annulée. Chen se retrouve donc au café, avec plusieurs heures devant lui, et décide d’inviter plusieurs amiEs pour prendre un café en toute amitié…Alors que la conversation bat son plein, voici que le mobile de Chen sonne : c’est Lin, sa petite amie. Chen est face à un dilemme : décrocher, et risquer un malentendu avec sa copine, qui le croyait au stade mais qui au lieu d’entendre des exclamations de supporters entendra en bruit de fond les rires de ses amies (et Lin est très jalouse…) ; ou ne pas décrocher, alors que l’appel est peut-être important. Ici, pour éviter tout malentendu, un service de suppression du bruit de fond ne suffit pas : Lin s’attend à un bruit de fond (celui du stade) et l’absence de toute ambiance sonore serait suspecte. Pour aider Chen, les chercheurs ont imaginé un modèle (pour l’instant théorique) de substitution de bruit de fond, supprimant le bruit réel (café) et le remplaçant par le bruit attendu (stade). Le modèle repose sur un réseau d’utilisateurs mobiles connectés en peer-to-peer qui déclarent au préalable les différents endroits où ils ont prévu d’être tout au long de la journée. Si un abonné du système (Chen par exemple) se trouve être à un endroit différent de ce qu’il avait prévu à un instant t, il lui suffit de faire un appel au réseau qui va rechercher un autre abonné se trouvant, lui, dans le type d’endroit voulu. Le réseau va alors appeler cette personne pour recueillir le bruit de fond du lieu en question, effacer le bruit de fond du lieu où est Chen, et lui substituer le « bon » bruit de fond (ici le bruit d’un stade). Dans cette situation, Chen peut prendre l’appel de Lin en toute tranquillité : sa copine entendra bien en arrière-plan sonore le bruit d’un stade, là où Chen est sensé être.
L’étude taiwanaise est très amusante dans le sens où les chercheurs semblent convaincus qu’un tel système serait très utile et éviterait bien des malentendus. Ce qu’ils ne voient pas (ou ne disent pas), c’est que la vraie solution au genre de situation décrit ci-dessus n’est évidemment pas technique. La vraie solution, c’est la confiance. Qu’il s’agisse de la confiance entre Chen et Lin, ou de celle entre le directeur et son employé au bord de la piscine.
Là où les chercheurs vont un peu trop loin, c’est quand ils enrobent ce « mensonge assisté par ordinateurs » d’un discours d’utilité sociale. Le cas montre bien en tout cas que la coopération peut servir des objectifs très divers, et pas toujours très avouables. La coopération n’est donc pas une panacée : elle est un moyen d’arriver à des objectifs dans un certain état d’esprit. Il faut d’abord être clair sur ces objectifs et cet état d’esprit si l’on veut utiliser le management par la coopération pour résoudre les problèmes d’un groupe (d’une entreprise, d’une association, d’une école…). Sans confiance, la coopération et la technologie ne sont rien.
Télécharger l’étude (en anglais)
Etonnant en effet cet article.
On croirait presque à un gag comme le fameux article de Perec : http://www.bonheurpourtous.com/humour/tomatoto.html
Mais non visiblement.
Comme disait Rabelais, science sans conscience n’est que ruine de l’âme.
Le pire c’est que je suis sûr qu’un tel service offert par les opérateurs ferait un tabac.
Oui,
C’est juste une étude mais les chercheurs ont fait ça très sérieusement ! Ce n’est pas un gag.
Merci pour le lien que tu indiques : hilarant !